Les « absents » en médiation familiale

Comment peut-on prendre en compte le « poids » des personnes absentes – conjoints, parents, enfants, défunts, personnes vulnérables – lors d’une médiation familiale ?

Nous n’évoquerons pas ici les enfants, dont il est bien sûr beaucoup question en séance, mais seulement les adultes qui font partie de la vie ou des souvenirs des personnes. Leur présence se fait sentir par des noms ou des mots prononcés clairement, et aussi par des éléments plus subtils auxquels les médiateurs familiaux sont sensibles : une grimace ou une larme sur un visage, ou bien encore une manifestation de colère à la simple évocation d’un absent en disent long.

Les nouveaux conjoints

Leur « présence invisible » peut surgir en médiation pour plusieurs raisons : parce qu’ils sont au cœur de l’histoire conjugale des personnes (infidélité par exemple), ou bien encore parce que l’un des parents craint qu’il ou elle prenne sa place de père ou de mère. Il faut dire que laisser son enfant aux bons soins d’une personne étrangère qui vit avec son ex-conjoint n’est pas chose facile à accepter.

L’Insistance à parler du nouveau conjoint cache parfois aussi une volonté de bien signifier à l’autre la fin de la conjugalité. On peut penser aussi que cela permet de s’affirmer vis-à-vis de l’ex-conjoint, de se montrer et se sentir plus fort pendant les séances, et d’essayer de donner plus de poids à ses propos. Enfin, il est probable que parler du nouveau conjoint sert dans certains cas à alimenter un conflit dont on ne veut, ou dont on ne peut, pas sortir ; du moins, pour l’instant. Parler de l’autre, et de surcroît le comparer à l’ex-mari comme cela se produit parfois, ne manque pas de faire réagir.

Les parents ou beaux-parents

Il en est souvent question quand ils exercent une grande influence sur la famille, quand ils sont très impliqués dans la prise en charge financière ou la gestion du temps des petits-enfants, quand il s’agit d’un jeune couple et/ou quand l’un des ex-conjoints est retourné vivre chez ses parents après la séparation. Les beaux-parents prennent alors fait et cause pour leur enfant et se mêlent plus volontiers de son histoire conjugale. Le jeune couple essaie de trouver une solution, mais il y a parfois derrière tout un système familial qui pousse dans l’autre sens.

Les enfants non nés

Une « présence » mystérieuse se révèle parfois toucher à un élément de la vie ou à une personne dont nul ne dit mot, faute d’en être conscient sur l’instant, ou bien parce que la parole à ce sujet est douloureuse. Il en est ainsi par exemple des enfants non nés, suite à un avortement, des fausses-couches à répétition, une mort in utero à un stade avancé, ou même des grossesses physiologiquement impossibles. Ces projets d’enfants, qui se sont essentiellement formés dans l’esprit des parents avant de devoir en faire le deuil, sont source de chagrin. Chacun y pense, personne n’en parle, et le couple arrive en médiation familiale chargé de ce poids du non-dit. Comme le confie une médiatrice familiale, « ce sont des absents qui séparent les couples et les font souffrir ». Ils peuvent terriblement peser sur le déroulement des séances, du moins tant que le sujet n’est pas abordé.

Les défunts

Dans les médiations familiales successorales, le défunt parti sur d’autres rives se fait terriblement présent car les héritiers sont en quelque sorte réunis par lui ; ils prennent connaissance de ses dernières volontés et dispositions testamentaires, comme s’il leur parlait à titre posthume.

Les juristes disent que « Le mort saisit le vif » pour signifier que l’héritage d’une personne morte va automatiquement à ses héritiers vivants. Mais, prise au sens littéral, cette formule très imagée – comme si le mort attrapait ou rattrapait le vif – dit bien le lien entre l’absent et le présent (le disparu et l’héritier) et à quel point le premier continue de s’imposer. Les héritiers se retrouvent souvent pris dans un manège infernal qui, au-delà des aspects strictement financiers et administratifs, mêle la douleur du deuil à la complexité de la relation qu’ils entretenaient avec le défunt, mais aussi qu’ils entretiennent entre eux !

Quelle que soit la valeur du patrimoine, on n’hérite pas seulement de biens. À travers la part que l’on reçoit, c’est aussi la place de chacun dans la famille qui se joue et ce que l’on interprète comme des preuves posthumes d’amour ou de moindre amour du défunt envers soi. La jalousie, les haines, le manque de reconnaissance, toutes les frustrations de l’enfance resurgissent en ce moment de séparation ultime.

Les personnes vulnérables

En médiation de fratries portant sur la question du placement d’un parent âgé, ce dernier est au centre de la discussion. Même s’il n’est pas là, on ne parle que de lui ; du moins en apparence. Car parler du bien-être d’un parent âgé et des projets qu’on a pour lui, c’est aussi, en creux, parler de la relation qu’on entretient avec lui, et donc parler de soi… La particularité de ces médiations, c’est la tendance à se sentir, et à se dire, dépositaire de la parole de l’absent.

Or au-delà des considérations matérielles (un placement en Ehpad ou le maintien à domicile, ou encore l’accueil chez soi peut coûter cher, au sens propre comme au sens figuré), chacun énonce et comprend la situation à partir de ses filtres personnels, de ses principes, de ses valeurs, de son rôle dans la famille, etc. En fait, on ne parle pas vraiment « à la place de », mais plutôt « de sa place à soi », ce qui change tout ! Dans tous les cas, s’exprimer au nom d’une personne absente n’est pas du tout la même chose que d’entendre sa parole en direct.

Passer de l’absence à la présence : la question de l’invitation

A en croire beaucoup de médiateurs familiaux, les personnes vulnérables, âgées ou non, doivent être partie prenante des décisions qui les concernent. A condition bien sûr de s’assurer au préalable qu’elles sont en mesure de participer aux séances et d’exprimer leur point de vue. Si leurs capacités cognitives sont défaillantes, leur présence n’aurait pas de sens.

L’invitation d’une personne vulnérable comme celle d’un nouveau conjoint ou de toute autre personne de la famille d’ailleurs, pose aussi la question essentielle du respect de l’équité et de l’impartialité. Idem pour l’invitation d’un nouveau conjoint. Car comment respecter l’égalité des places et l’équilibre de la parole quand une personne est « épaulée » par son nouveau compagnon, et que l’autre se sent au contraire fragilisé par cette présence ?

On peut penser que l’équité est respectée si les deux ex-conjoints sont accompagnés chacun de leur nouveau conjoint, mais sinon ? Et quid de l’impartialité du médiateur familial qui invite le nouveau conjoint ? Même si l’ex-conjoint accepte, il pourrait avoir le sentiment que le médiateur familial a pris parti, ou qu’il pourrait être influencé par le poids des deux autres voix qui vont s’exprimer à l’unisson. Pas simple donc à mettre en œuvre.

Jusqu’à quel point le médiateur doit-il se saisir des paroles sur les absents ?

Sans aller jusqu’à l’invitation, les paroles prononcées spontanément par les médiés au sujet de certains absents peuvent permettre d’aller de l’avant. Elles ouvrent parfois de belles perspectives de dialogue entre les personnes, et aussi des opportunités de reformulation au médiateur familial. Mieux, elles favorisent parfois l’autodétermination et l’affirmation de soi.

Pour ce faire, il faut bien en passer par une écoute, puis un travail, sur ce qui encombre et empêche l’autonomisation. On peut considérer que les personnes qui se font le porte-voix des absents plutôt que de parler d’elles ou pour elles, sont précisément privées d’expression personnelle. Comment le médiateur familial peut-il s’assurer qu’elles font part de leurs besoins profonds s’il ne travaille pas du tout cette question-là avec elles ?

La recherche d’empowerment exige parfois de repousser l’intrusion des absents. C’est particulièrement vrai quand les beaux-parents/parents se mêlent de la vie d’un ex-jeune couple par exemple, et que ce dernier semble trop gêné par la mainmise familiale pour faire émerger ses propres besoins.

Les médiateurs familiaux peuvent aussi se saisir des propos sur les absents pour permettre aux personnes de parler de la recomposition familiale et d’exprimer leurs éventuelles craintes. C’est souvent l’occasion de rappeler que chaque parent conserve son autorité parentale et des droits équivalents, que l’enfant soit en résidence alternée ou en résidence principale chez l’un.

Par ailleurs, rebondir sur les propos au sujet du nouveau conjoint ou même de la famille élargie, permet aussi de questionner les valeurs, les croyances des personnes, puis de revenir sur des éléments du passé pour les inviter à réfléchir à leur effet sur la situation actuelle. De quoi cheminer sur les questions concrètes qui les amènent en médiation.

Anne Vaisman, médiatrice familiale DE

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