Dans nos sociétés occidentales, le doute a mauvaise presse. Il s’agit d’avoir des certitudes, des convictions, et surtout d’aller de l’avant ! Alors, parler du doute en médiation familiale peut paraître pour le moins osé, voire provocateur !
Avant de continuer, il me semble nécessaire d’une part de clarifier le concept de doute, d’autre part d’expliquer simplement et de façon compréhensible ce qu’est la médiation familiale.
Alors, le doute, c’est quoi ? La question du doute est fondamentalement une question philosophique. Depuis plus de vingt siècles, la réflexion sur le doute a occupé de nombreux philosophes, par exemple, Montaigne, Pascal, Descartes sans oublier Socrate et son « je sais que je ne sais pas ».
D’autres disciplines comme la sociologie ou la psychologie travaillent ou ont travaillé sur cette thématique. Le sociologue, en travaillant sur des groupes humains et leur inscription ou pas dans la société (les jeunes de banlieue, par exemple), n’arrive pas en territoire connu. Comme tout un chacun, il possède un système de valeurs dont il doit s’éloigner s’il veut pouvoir travailler correctement. On est en sociologie plutôt dans le domaine de la connaissance afin d’en tirer des possibilités d’action notamment.
Le psychologue, lui, s’intéresse plutôt aux personnes, à ce que l’on nomme maintenant « santé mentale » voire à un petit groupe de personnes sur le plan individuel ou personnel. Là aussi, il s’agit avant tout d’écouter ce que ces personnes ont à dire, sans jugement notamment. On est dans le domaine du « care » c’est-à-dire du soin.
Prendre son destin en main avec l’aide d’un tiers
La médiation familiale est d’abord apparue aux États-Unis et au Québec dans les années 1970-1980. Il s’agissait de prendre en comte les conséquences des ruptures familiales en se centrant sur les personnes, leur ressenti, celui de leurs enfants. En France, la médiation familiale est en germe dès 1988. En 1995, elle est inscrite dans la loi : un juge peut ordonner une médiation familiale.
Très vite émerge l’idée que les personnes, même dans un contexte de souffrance, sont capables « de prendre leur destin en mains ». Mais il leur faut pour cela un tiers, le médiateur familial. Ce tiers a suivi une formation approfondie notamment en psychologie de l’enfant et de l’adolescent, en droit de la famille, en sociologie de la famille. La formation est évidement centrée sur le processus de médiation familiale, les outils et techniques, la posture du médiateur.
Les rapprochements entre médiation familiale, philosophie, sociologie, psychologie semblent alors évidents. Le médiateur familial, sans oublier le processus, s’appuie sur un socle de connaissances qui l’aide à mieux cerner le ressenti des personnes, leur système de valeur (« dans ma famille, on ne divorce pas », « dans ma culture le divorce n’est pas admis »).
Le doute, un moyen d’action
Nous en arrivons à notre sujet : la place du doute en médiation familiale. Ainsi posée, la question contient la réponse : analyser comment le doute du médiateur, mais aussi celui des personnes en médiation peut être positif pour la médiation familiale. Est-il possible, sans fragiliser le médiateur familial, les personnes en médiation et le processus, de faire une place au doute en médiation familiale ? Mieux, d’en faire un moyen d’action ?
Cette question nécessite, dans un premier temps, de définir la signification du doute, de ses antonymes et de prendre en compte les notions de responsabilité, de liberté, de lucidité. Cette réflexion concerne avant tout la posture du médiateur et renvoie à son éthique. Elle montre comment la remise en cause aide à la construction et à la mise en œuvre, notamment de la neutralité et de l’impartialité.
Si on l’aborde sous l’angle de la pratique : il s’agit de faire douter les personnes en médiation familiale et d’utiliser, pour ce faire, le doute en tant qu’outil du médiateur familial.
Au final, il est possible d’établir que le doute est utile et même nécessaire en médiation familiale, à condition de ne pas prendre toute la place, d’être une étape du processus, de se jouer sur le mode du questionnement. Les moments de doute permettent au médiateur et aux personnes en médiation de se poser « les bonnes questions » dans leur intérêt et celui de leurs enfants. Il requiert de la part du médiateur de l’humilité (« non, le médiateur n’est pas un sachant »), de la lucidité (« que se passe-t-il là maintenant ?), une remise en cause permanente et constructive.
Patricia RAFFIN-PEYLOZ, médiatrice