Les non-dits et les malentendus cachent des significations diverses que la médiation a intérêt à identifier.
La médiation est souvent présentée comme un processus qui permet de libérer la parole et ainsi de rétablir la communication entre des personnes en litige ou en conflit. Elle fait émerger les non-dits, les « choses cachées », dissipe les malentendus, lit-on aussi parfois, rejoignant une notion courante de la psychothérapie selon laquelle l’important serait davantage dans les non-dits que dans les « dits ».
Est-ce à dire que toute parole librement exercée est bonne à prendre ? Pas forcément, car une parole libre, si elle « soulage » la personne qui s’exprime, peut aussi être blessante pour celui ou celle qui la reçoit. Elle attise alors le conflit et peut même aboutir à interrompre le processus de médiation lorsque sa violence symbolique ou réelle est perçue comme insupportable.
Des non-dits délétères…
En réalité, il y a non-dits et non-dits. Certains sont des freins au retour d’une communication entre les personnes car ils sont interprétés comme des signes de mauvaise volonté, de non-engagement, de manque de courage voire comme des tactiques de manipulation. Ils relèvent d’un « vice caché », d’une négligence plus ou moins consciente que le processus de médiation a intérêt à identifier pour que les personnes retrouvent un lien fondé sur un minimum de confiance.
… mais parfois nécessaires
Cependant, il peut arriver aussi que les non-dits jouent un rôle crucial pour la personne qui les garde pour elle. Elle « non-dit » à dessein et non par une sorte d’esprit retord. Elle ressent par exemple qu’exprimer ce non-dit pourrait la mettre en situation inconfortable ou viendrait à un moment où il serait mal perçu. Ce peut être le cas d’un(e) responsable d’équipe d’une entreprise, par exemple, qui taira un propos injurieux tenu à son égard par l’un de ses collaborateurs parce qu’il/elle tient à retrouver une relation de travail avec lui. Persister à taire le non-dit a alors une valeur forte qui souligne paradoxalement l’engagement du « taiseux ». La médiation a, là aussi, intérêt à mettre au jour ce non-dit, d’autant qu’elle peut s’en servir comme d’un ingrédient de reconstruction de la relation.
Non-dit, pas-dit, plus-ou-moins-dit
Ainsi, en médiation, pourrait-on être tenté de distinguer le non-dit du « pas-dit » et du « plus-ou-moins-dit ». Le premier terme pourrait désigner une chose cachée dont les fonctions doivent être respectées, ce qui ne signifie pas qu’il faille l’empêcher d’émerger. Le « pas-dit » traduirait plutôt une attitude de l’une des parties tendant à taire un fait important, par négligence. La médiation aurait vocation à dévoiler cette attitude pour qu’une communication se rétablisse entre les personnes. Le « plus-ou-moins-dit » serait une idée amorcée ou énoncée approximativement que la médiatrice ou le médiateur reformulerait afin que son auteur puisse la confirmer ou l’infirmer, de façon à apporter de l’eau au moulin de la médiation.
De même, il y a malentendu et « bien-entendu ». Dans certains cas, le malentendu traduit une divergence d’interprétation vaguement argumentée sur un fait ou un propos. La médiation cherche alors, grâce à l’expression des personnes et les reformulations proposées, à réduire la divergence ou à amener les médiés à considérer qu’elle n’est pas un obstacle définitif à un terrain d’entente. Dans d’autres cas, cependant, le malentendu exprime une différence de vue clairement assumée, qui peut jouer un rôle structurant pour l’une des personnes, par exemple en matière d’éducation des enfants, de stratégie d’entreprise ou de conception des incivilités. Ce que l’une des parties fait passer pour un malentendu banal peut être en réalité un « bien-entendu » vital pour l’autre. Ne pas reconnaître la valeur qu’il revêt à ses yeux reviendrait à saper sa confiance dans le processus de médiation.
Jean-Jacques Perrier, médiateur